La mort est mon metier



La mort est mon métier

Le jeune Allemand Rudolf Lang, qui est plutôt renfermé et timide, grandit dans un milieu familial très sévère et dominé par la pratique religieuse, le patriotisme et l'antisémitisme. Il connait l'autorité du père, l'incapacité de la mère et, pour compenser, la tendresse de ses deux sours et de la bonne. Né en 1900, il est adolescent au cours de la Première Guerre mondiale, ressent une véritable fascination pour l'armée, contre la volonté de son père de le voir devenir prêtre. Quand celui-ci meurt, son patriotisme s'exarcerbe et il part au front où il se bat avec courage. Il est ulcéré par la défaite et voit dans le traité d'armistice un affront à laver. Aussi quitte-t-il sa famille, entre-t-il dans le parti nazi, s'engage-t-il dans la S.S. et commence-t-il à mener une vie assez mouvementée. S'élevant dans la hiérarchie, Himmler est, pour lui, une sorte de père de subsitution, mais il se marie et a des enfants. Pendant la Seconde Guerrre mondiale, il se bat avec ardeur et se fait remarquer par le Führer qui, ayant décidé la solution définitive du problème juif en Europe, le choisit, à cause de son talent d'organisateur et de ses rares qualités de conscience pour commander le camp d'Auschwitz-Birkenau. Elsie, sa femme, lui oppose qu'il fallait refuser d'obéir, mais, pour lui qui est un soldat, c'est contraire à l'honneur. Il est fidèle à la devise des SS : Meine Ehre heisst Treue (Mon honneur, c'est la fidélité). Acceptant de n'être qu'un rouage, il organise l'usine de mort, l'élimination de milliers d'innocents, perdant progressivement tout sentiment d'humanité en se muant en un froid calculateur. Enfin, en 1945, après avoir été scandalisé par Himmler qui, arrêté par les Britanniques, s'est suicidé, abandonnant ainsi ses enfants, les officiers S.S., il subit son procès à Nüremberg. Accusé de crime contre l'humanité, il ne comprend pas et reste ferme sur ses positions, sans éprouver le moindre remords : Je ne pouvais pas me permettre d'être ému. J'avais des ordres, ce qui provoque l'incompréhension des juges : comment dissocier la nature des crimes du simple dévouement d'un homme? Il est finalement condamné à la peine de mort et exécuté.
Biographie romancée de 369 pages.
Commentaire : Comme l'indique Robert Merle, La mort est mon métier est une re-création étoffée et imaginative de la vie de Rudolf Hoess. Ce qu'on sait de la vie de celui-ci a été obtenu par le psychologue américain Gilbert qui l'a interrogé dans sa cellule à Nüremberg. Mais, s'il répond au devoir de mémoire, Merle va au-delà des nombreux et pénibles témoignages sur les camps de la mort que donnèrent, immédiatement après 1945, les victimes (juifs, tziganes) ou les vainqueurs (soldats américains, anglais, français ou soviétiques décrivant leurs macabres découvertes. Il offre un tout autre point de vue sur l'atrocité de cette époque en donnant la parole au bourreau. S'il adopte le cadre plutôt rassurant d'un récit, il n'en reste pas moins terrifiant en nous faisant plonger dans l'horreur de spectacles inhumains (La fumée et les flammes sortaient d'une large fosse où des corps nus des deux sexes étaient entassés. Sous l'effet des flammes,les corps se tordaient et se détendaient avec de brusques sursauts, comme s'ils avaient éte en vie. Un grésillement de friture crépitait continuellement dans l'air avec une force inouïe), en peignant des scènes irréelles et révoltantes comme celle qui montre la construction d'une énorme fosse crématoire, en ouvrant, au passage, un saisissant aperçu sur le chaos de l'époque engendré par le premier conflit mondial.
Mais il n'est pas qu'historien, il est aussi romancier et place au centre de ce voyage dans l'inhumanité, un homme, un personnage, en accordant une grande attention à son enfance, à ses premiers pas, à sa vie privée et à ses sentiments fluctuants. En fin psychologue, il distille un malaise chaque fois qu'il nous indique que la gorge de Lang se noue. On ne manque pas d'être surpris : cet homme n'était pas fondamentalement cruel ou sadique. C'est la crainte que lui inspirait son père qui l'a conduit peu à peu vers une obéissance sans limites. Il était simplement honnête, sérieux, travailleur, fidèle et respectueux vis-à-vis de ses supérieurs, avait le culte du chef, était animé par le sens de l'honneur et la soumission à la hiérarchie. Cela le rend d'autant plus terrifiant, car il est tantôt odieux, tantôt attendrissant : c'est, pendant la journée, un tortionnaire qui, le soir, demande à son fils ce qu'il a appris de nouveau à l'école. Ses propos et ses réactions sont déroutantes et insoutenables. Robert Merle montre bien comment cet homme a pu en arriver à exécuter le plus grand crime de l'humanité en l'abordant de la façon la plus industrielle qui soit. Le livre fait comprendre comment tant d'Allemands normaux sont devenus des bourreaux par soumission à l'autorité. En perspicace analyste politique, Robert Merle démonte les rouages assassins d'un régime totalitaire. En profond philosophe, il pose les questions essentielles de la responsabilité personnelle et de la responsabilité collective, de la culpabilité, du passage d'une conscience humaniste à une mécanique criminelle selon un implacable déterminisme. Rudolf Lang, homme normal, ni sadique ni fanatique, n'était-il pas destiné par son milieu, par l'Histoire, à accomplir ses actes? Sa faute a été de ne pas avoir suivi sa conscience. Il se défend en affirmant que, s'il avait refusé d'obéir, quelqu'un d'autre aurait exécuté l'ordre. Il y a toujours, en effet, des individus prêts à faire ce qu'on leur ordonne. Il n'a malheureusement pas été le seul à obéir à des ordres aussi inhumains. Le massacre n'aurait pas eu lieu dans le seul cas d'une résistance générale. La conclusion de Robert Merle est que, dans une société où les actes ne sont plus contrôlés par l'opinion de la majorité, tout devient possible, et que, pour exécuter ses projets, une société de ce type trouve toujours des exécutants pour ses crimes. Il y a eu, sous le nazisme, des centaines, des milliers de Rudolf Lang, sans conscience ni morale, portés aux plus hauts postes par leur sérieux .Tout ce qu'il fit, il le fit non par méchanceté, mais au nom du respect de l'État, de la fidélité au chef, de la soumission à l'ordre, bref, en homme de devoir. La mort est mon métier a été un des plus grands succès de Robert Merle.